
J’ouvre brusquement les yeux. Un bruit. J’ai entendu un bruit. Qu’est-ce que c’est ? Eh merde, saloperie de merle, tu m’as foutu la trouille. J’ai cru qu’ils étaient de retour.
Le jour s’est levé depuis pas mal de temps à en croire le soleil qui est déjà haut. Je sors du buisson dans lequel j’avais fini par me cacher après être resté une éternité dans l’eau. Tout est calme. Il y a juste le chant du merle. Mes poursuivants ont fini par capituler, hier soir, persuadés que j’étais mort. Il m’a semblé entendre les pleurs de Sandrine. Mais j’ai sûrement dû rêver. J’étais tellement faible que mes sens me jouaient des tours.
Une fois debout, je réalise à quel point ma cheville est amochée. Elle peine à supporter mon poids. Une petite inspection confirme plusieurs choses. D’abord que c’est sûrement une entorse à en croire le mauve qui s’est étendu au-dessus de mon pied. Ensuite que les films racontent vraiment n’importe quoi. Défoncer une porte, c’est s’assurer une ecchymose énorme à l’épaule et une belle collection d’entailles un peu partout. J’entreprends de m’enlever les quelques échardes qui sont restées plantées dans ma peau et ma chair. J’espère que l’eau polluée ne va pas faire s’infecter mes plaies. Ça serait un comble de crever pour ça. L’idée me fait rire. Le merle prend peur et s’enfuit. Tu as raison d’avoir peur, je deviens vraiment dingue.
De là où je suis, j’ai une vue magnifique sur la ville. Elle est calme, comme tous les jours. Plus de voitures depuis longtemps, faute d’essence. Plus de promeneurs, plus de terrasses de café bondées, plus de magasins ouverts … rien … plus rien. Juste, par endroit, des ombres qui se faufilent. Les unes pour chasser, les autres pour fuir. La survie ne fait pas de bruit. C’est à peine un murmure. Un souffle de vie. J’aperçois ce qui était ma maison avant que tout ça ne commence. On l’avait achetée, ma femme et moi, dans l’espoir d’y fonder une famille. On se voyait déjà avec trois enfants (ma femme avait horreur des chiffres pairs) et un labrador. On aurait mangé les légumes que Charlotte faisait pousser. On aurait été bien. On aurait été heureux. Un bonheur simple, fait de petites choses faciles à atteindre. Comme Charlotte me le disait toujours : « Loulou, arrête de viser les étoiles, tu ne les atteindras pas. Par contre, embrasse-moi, mes lèvres sont à ta portée et ça nous fera plaisir ». Et je les ai embrassées ses lèvres. Tellement. Même quand elle est morte dans mes bras, tuée par un type qui l’avait entendue souffler. Oui, j’ai embrassé ses lèvres jusqu’à ce qu’elles deviennent définitivement froides.