« Dis, Siri, tu peux sonner dans 48 heures ? »

Courir. Fuir. Ne surtout pas essayer d’expliquer. Ne pas hésiter. Chaque seconde compte. Tout le groupe est déjà tourné contre moi. Dans leurs yeux, un mélange que je ne connais que trop bien … de la haine et de la peur. Même dans les yeux bleus de Sandrine. Ces yeux qui, encore quelques secondes avant cet éternuement, me regardaient avec tendresse. Je pensais justement lui avouer mes sentiments. Ça faisait des semaines que je repoussais ce moment, par crainte de ne pas lui plaire. Quel con. Que de temps perdu. Je savais, au fond de moi, sans oser me l’avouer vraiment, qu’elle me trouvait à son goût. A présent, je ne vois plus que du dégoût et une envie folle de me faire la peau.

Courir.

Notre quartier général est très bien choisi, il est compliqué d’accès. Un dédale de couloirs plongés dans l’obscurité à franchir. Des escaliers dans lesquels nous avons placés des vieilles conserves et des bouteilles vides pour nous alerter si quelqu’un approche. J’avais trouvé l’idée excellente. A présent, je maudissais Marc, notre chef, d’avoir opté pour cet endroit. Il est difficile d’y entrer mais, je m’en rends compte à présent, il est également très difficile d’en sortir rapidement sans se casser la figure. Je glisse sur les flaques d’eau créées par un toit en décomposition. Je me cogne à chaque coin, à chaque mur … et me brûle aux tuyaux qui parcourent les entrailles de notre lieu de survie. Je n’y voir pas clair. Tout ce que je sais de ce qu’il y a devant moi est flou, je ne peux me fier qu’à mes souvenirs. Par contre, je sais très bien ce qui est derrière moi. J’entends les cris. Les grognements devenus inhumains. Le claquement des bottines de ceux qui étaient ma nouvelle famille juste avant que … mais bon sang, pourquoi est-ce que j’ai éternué ?!?! Est-ce que je suis vraiment … ? Putain, Vincent, arrête de te poser tant de questions et cours !

Un virage. Une flaque. Mon pied gauche qui glisse. Je perds l’équilibre. Peu de temps, je me récupère avant de tomber. Mais c’est quand-même trop long. Eux, ne glissent pas. Eux, ne perdent pas ces précieuses secondes. Je sens la chaleur de leurs corps fous approcher. Ils sont là. Leur souffle s’agrippe à ma nuque. Ma cheville me fait mal. J’ai dû me la tordre. Je voudrais hurler mais je manque d’air. Et ça ne servirait à rien. Des doigts ! Je viens de sentir des doigts toucher mon t-shirt. Ils ont failli m’attraper. C’était sûrement Patrick, il a toujours été le plus rapide. Plus rapide que moi. Je n’ai aucune chance. Ils ne respirent plus, ils grognent. Comme des bêtes sauvages qui chargent. Rien ne les arrêtera. Rien, tant qu’ils ne m’auront pas attrapé pour me tuer. Les escaliers ! Ils sont juste devant moi. Trois rangées d’escaliers en métal pour descendre. Ensuite, encore quelques virages et je serai dehors. Mais après ? Par où aller ? Comment leur échapper ? Je n’y arriverai pas.

« Choppe-le ! »

C’est Marc, notre chef … enfin … leur chef. Je ne fais plus partie de ce groupe. Il s’adresse sûrement à Patrick.

« Choppe-le, il ne doit pas nous échapper ! »

Encore 3 pas et les escaliers sont là, j’entrevois la rambarde.

2 pas. Patrick s’est encore rapproché.

1 pas. La main de Patrick s’élève et retombe sur moi ! Il m’a eu. Il a mon t-shirt dans son poing. C’est fini ! Nooooooooooon ! Je lance mon buste en avant, dans un ultime effort. De justesse, j’attrape la rambarde. Elle est rouillée et en piteux état. Elle grince mais tient bon. Patrick me tire vers lui. Avec la rambarde, j’arrive malgré tout à avancer encore un peu. Un tout petit peu. Juste de quoi lancer mon corps vers les escaliers au moment où je saute. De toute mes forces, je me tire vers le vide. Patrick tire plus fort. Je suis dans le vide. Sous moi, un trou d’une hauteur de trois rangées d’escaliers. J’entends un craquement. Mon t-shirt ! Il cède. Je tombe dans le vide. Patrick tente de me retenir mais mon t-shirt se déchire complètement. 10 mètres plus bas, le sol. Je tombe sur le côté. Heureusement. Ma cheville s’en trouve épargnée et j’arrive à me relever tout de suite pour reprendre ma course. Plus haut, j’entends les jurons qui se mêlent au bruit des pas dans les escaliers. Mon corps tout entier me fait mal mais j’ignore la douleur, j’ai plus urgent à faire que de m’occuper de ça. Je cours. Je suis en vie et je cours. Pour combien de temps ? J’ai réussi à mettre une petite distance entre eux et moi mais ça reste peu. Trop peu. Certains de mes anciens compagnons trébuchent dans les boîtes et les bouteilles. Certains se font mal, j’entends des cris. Des cris, des grognements et des jurons. Mais ils ne sont pas tous tombés. Loin de là.