
Il y a environ deux semaines de ça. Une jeune fille qui s’appelait … merde, c’était quoi déjà son nom ? Julie ? Non. Jennifer ? Je ne sais plus. Bref, c’était une gamine. Une gentille gamine. Elle avait 12 ans à tout casser. On l’avait trouvée dans une maison, lors de nos inspections quotidiennes pour trouver de la nourriture et des médicaments. Elle était recroquevillée dans un coin de la chambre de ses parents. Eux, ils étaient morts. Les corps gisaient sur le sol, juste à côté de Jennifer. Non, ce n’est pas Jennifer son nom. C’est fou ça, je ne retombe pas sur son nom. Ils étaient dans un sal état ses parents. Le père avait été éventré et ses tripes en sortaient mollement jusqu’à toucher le parquet où, par l’effet du sang coagulé, ils collaient sûrement. La mère, quant à elle, avait un trou énorme au niveau de la gorge. Non, pas vraiment un trou mais plutôt une caverne creusée par les dents d’un monstre vorace. La petite était couverte de sang. Le sang de ses parents uniquement. Elles les avaient tués et se laissait mourir, incapable de sortir de ce théâtre glauque. On l’avait capturée avec notre perche-lasso. Christophe, un gars de notre groupe, avait bossé à la fourrière et nous avait appris à fabriquer cet instrument qui lui permettait d’emmener les animaux errants sans risquer de se faire mordre. Grâce à ça, on pouvait aujourd’hui emmener des inconnus sans devoir les approcher à moins d’un mètre, distance minimale réglementaire selon l’OMS.
On l’avait mise dans le garage. C’était un endroit tout proche de notre quartier général dans lequel on plaçait les candidats pendant 48 heures. Une caméra nous permettait de les surveiller à distance. Si aucun signe de maladie n’avait été détectée, le candidat devenait un nouveau membre de notre groupe.
Je me souviens de mes deux jours passés dans le garage. Je ne comprenais pas ce que je faisais là ni ce que ces gens me voulaient. J’étais perdu et apeuré. Pourtant, je n’ai pas essayé d’en sortir. On m’a apporté de l’eau et du pain par une petite ouverture prévue à cet effet. Finalement, mon séjour au garage avait été plus agréable que ce que j’avais avant d’être capturé. Protégé, nourri, que demander de plus ? Depuis que la pandémie avait tué presque tout le monde, ces petites choses faisaient figure de grand luxe. J’étais même un peu déçu quand ils sont venus me chercher pour me dire que j’avais passé le test des 48 heures et que je faisais partie du groupe. Sortir de ce petit local signifiait que j’allais encore devoir affronter le monde … les gens malades et les autres, pires encore, devenus fous. La petite, elle, n’avait pas réussi le test. Après seulement 2 heures, on a vu qu’elle était infectée. Elle toussait, éternuait et transpirait abondamment. La grippe. Mais pas n’importe quelle grippe. La mutation foudroyante du coronavirus. Cette saloperie qui avait tué plus de 80% de la population. On ne connaissait pas les chiffres exacts car on n’avait plus de médias. Plus d’internet, plus de télé, plus de radio … rien. C’est là qu’on a réalisé qu’il y avait des gens qui faisaient tourner cet univers numérique. Des gens qui devaient être morts ou qui se cachaient quelque part, tentant, comme nous, de survivre. D’ailleurs, c’est quand on a cessé de recevoir des informations que la violence s’est installée pour de bon. Incapable de vivre sans savoir, nous sommes devenus paranoïaques. Fous. Oui, fous. Nous avions été ivres d’informations et l’heure de la gueule de bois avait sonnée. Une saloperie de gueule de bois, je vous le dis. Nous étions des toxicomanes en manque. Nos réactions étaient imprévisibles. Des sauvages. En fait, non, pas des sauvages … pires que ça … car les sauvages sont habitués à l’âpreté de leur situation. Nous, nous n’étions préparés à rien. Quand tout a sauté, on s’est réveillé, la tête embrumée, et on a su que, jusque-là, nous avions été des assistés. Il fallait tout apprendre. On devait faire les choses de nos propres mains. Impossible de commander quoi que ce soit, de se faire livrer, de consulter un tuto sur youtube. Non, plus rien. Même pour tuer les malades, il a fallu qu’on apprenne. Les premiers ont sérieusement morflé. J’ai vu des personnes agoniser pendant des heures tellement personne ne savait tuer efficacement. Heureusement pour la gamine, on avait plutôt bien appris depuis. Sa mort a été rapide. On a tiré une seule balle, directement dans la tête. Quelques soubresauts, quelques spasmes, et puis plus rien. Juste une gentille fille avec un trou fumant au milieu du front.